« JE SUIS FASCINÉ PAR LA DIVERSITÉ DE LA VIE « , RENCONTRE AVEC SERGE DUMONT, HYDROÉCOLOGUE
Serge Dumont nous met en garde sur l'urgence d'agir pour la biodiversité
Présentez-vous brièvement.
Mon métier, enseignant- chercheur, hydroécologue au laboratoire LIVE (Laboratoire Image Ville et Environnement) de l’Université de Strasbourg, membre de l’Académie rhénane. Je réalise également des films documentaires sur les milieux aquatiques, le dernier en date, produit par les sociétés Seppia et Langengrad en 2019, s’intitule “Le fleuve invisible, un trésor sous la plaine du Rhin”, c’est un documentaire sur la nappe phréatique en interaction avec les milieux aquatiques, il a été diffusé sur Arte, France 3, ARD, WDR, SWR, etc..
Mon profil est atypique, à l’interface entre sciences, arts et diffusion des sciences au grand public. Au cours de mes conférences, j’ai assez rapidement compris que dans mon domaine, les discours abstraits ne suffisaient pas, les gens ont besoin de ressentir les choses, parler biodiversité c’est bien, la montrer c’est mieux, on vous croit, surtout si les images sont belles !
Qu’est ce que l’hydroécologie ? Pouvez-vous expliquer au grand public de quoi il s’agit.
L’hydroécologie est la science qui étudie la biodiversité aquatique, attention, peu le savent, la biodiversité inclut également les milieux et les interactions entre les espèces, je suis spécialisé dans les eaux douces.
Pourquoi avoir choisi cette spécialité ?
Un coup de foudre dès mon jeune âge pour les milieux aquatiques, grâce à mon père, pêcheur à la truite. Je suis littéralement tombé amoureux des rivières phréatiques fraiches et limpides. J’étais moins intéressé par la pêche que par la biologie, j’avais une grosse envie aussi d’aller sous l’eau, j’ai pu concrétiser ce rêve à l’adolescence, depuis je plonge et j’explore inlassablement les eaux douces mais aussi les eaux salées, chaudes ou froides.
Vous jumelez votre passion de la photographie avec celle de l’étude de la vie aquatique, comment cela s’articule concrètement ?
Oui, je pratique la photographie depuis longtemps, je fais aussi de la vidéo depuis une vingtaine d’années, c’est une discipline difficile, une photo se suffit à elle même, faire un film est long et compliqué, il faut aussi gérer le stockage qui est devenu fastidieux avec la très haute définition. La prise d’images s’est naturellement invité sur le terrain du scientifique plongeur que je suis devenu, la caméra comme bloc-notes où s’accumulent les chroniques naturalistes, savamment triées et archivées, une banque d’images fixes ou animées, devenue patrimoniale au fil du temps.
Qu’est-ce qui vous fascine le plus dans l’étude de la vie aquatique ?
Je suis fasciné par la diversité de la vie et des interactions entre les espèces hors et sous l’eau. On parle souvent d’équilibre, mais en réalité rien n’est figé, les milieux évoluent en permanence, les espèces s’adaptent ou disparaissent, un phénomène naturel, mais l’homme intervient aussi souvent drastiquement sur les écosystèmes, particulièrement sur les zones humides.
Quel est votre constat concernant l’impact de l’Homme sur l’évolution des milieux aquatiques ?
L’homme est devenu l’architecte principal des paysages. Il reste peu d’endroits dans le monde sans empreintes humaines. Les 2/3 des zones humides ont disparu en France mais aussi dans le monde entier, c’est dramatique pour la biodiversité mais aussi pour l’homme car elles sont les reins de la planète, elles stockent l’eau en période de crue et la restituent lentement en été, elles permettent aussi la recharge des nappes phréatiques. Les milieux aquatiques d’eau douce qui restent sont en mauvaise état. Plus de 40 % des écosystèmes à la frontière des milieux terrestres et aquatiques se sont dégradés en dix ans en France, selon une étude du ministère de la Transition écologique. Beaucoup souffrent de l’excès de nutriments, nitrates et phosphates. Les conséquences font la une des journaux, La pollution des côtes bretonnes par les proliférations profuses de « laitues de mer », la clorophycée Ulva lactuca, les algues Sargasses au Brésil et aux Caraïbes du fait de la déforestation de l’Amazonie, mais aussi la prolifération des cyanobactéries toxiques en eaux douces. Une étude de 2020 constate une perte de 4 à 19 Kg de phosphore par an et par hectare de terres agricoles dans le monde. Cette perte présage aussi de pénuries annoncées de ce minéral (les engrais P proviennent de gisements géologiques non renouvelables, en contraste avec l’azote), avec à terme des conséquences alimentaires, socio-économiques et politiques dramatiques, les réserves de P nouvellement découvertes étant limitées à une petite région du Sahara occidental et du Maroc. Avec le ruissèlement, les précieux nutriments rejoignent les milieux aquatiques qui étouffent littéralement. En 40 ans, les grandes espèces qui vivent en eau douce ont décliné de 88% dans le monde.
Quelles préconisations donneriez-vous aux jeunes générations pour préserver la faune et la flore des cours d’eau ?
La qualité de l’eau d’un cours d’eau est le reflet des activités sur le bassin versant. Des solutions existent pour préserver les cours d’eau et la biodiversité en général mais sont peu appliquées. Il faut recréer des zones humides partout où cela est possible, replanter des haies, elles fournissent des habitats à de nombreuses espèces comme les oiseaux et les insectes qui sont des auxiliaires des cultures, elles permettent aussi de lutter contre les coulées de boue et leurs racines épurent l’eau. Il faut arrêter d’utiliser des pesticides et limiter l’irrigation des monocultures comme le maïs, grand consommateur d’eau en été. Pour cela, il faut changer nos modes de consommation, manger local et de saison, de préférence bio. Arrêter de consommer des produits utra-transformés et suremballés, manger moins de viande mais de qualité. Le consommateur a les clés du changement, il doit s’en emparer.
Le bio est plus cher ? oui, sans contestation s’il n’y a pas changement de comportement alimentaire. Par contre, en achetant directement aux producteurs des aliments de saison et en retrouvant le chemin des fourneaux, l’équation est tout autre et le surcoût devient limité voire inexistant. Le surcoût du bio est biaisé. Nous ne payons pas le vrai prix quand nous achetons des aliments qui viennent du bout du monde ou qui sont produits avec de nombreux intrants. Le prix payé ne reflète pas le vrai coût pour la société et l’environnement, il n’inclut pas les effets funestes sur les écosystèmes, la pollution de l’eau, le changement climatique, les coulées de boue, l’assèchement des rivières, les maladies, etc…
C’était la St Valentin il y a quelques jours, nous offrons des fleurs alors que la France est sous la neige. Les roses viennent en partie par avion du Kenya, elles y poussent en consommant une eau précieuse et contiennent 25 molécules interdites en Europe, nous ne pouvons continuer ainsi.
Y-a-t-il urgence d’agir en ce sens ?
Oui, pour moi, le compte à rebours est lancé, il faut agir vite, l’homme est dépendant des autres espèces, nous ne tiendrons pas longtemps sans les insectes par exemple dont 80% ont déjà disparu, dans le plus grand silence. Le changement climatique est plus prégnant, l’augmentation du CO2 a des conséquences dramatiques, son augmentation par le passé (en millions d’années), du fait de l’activité volcanique, a déjà causé de grandes extinctions, par effet de serre mais aussi par acidification de l’eau. Les organismes à squelette calcaire sont menacés mais les autres aussi, des études montrent des effets délétères de l’acidification de l’eau sur le développement des oeufs de poissons. Aujourd’hui, c’est l’activité humaine qui est responsable de l’augmentation du CO2. Il ne faut donc plus tarder, agir à tous les niveaux, personnellement aussi, chaque geste compte, ne pas tout attendre des élus, les décisions difficiles nécessitent l’adhésion du plus grand nombre, il faut agir dans l’intérêt de tous.
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