LA COMPAGNIE XY, LE SACRE D’UN MOMENT DE GRÂCE AU MUSÉE PICASSO DE PARIS
L’ambiance est apaisée en ce matin du 4 septembre dans les jardins parisiens du Musée Picasso. La rue de Thorigny, sous un soleil radiant, se prépare à accueillir les 24h Picasso. A cette occasion, le musée ouvrira ses portes du lever du jour au coeur de la nuit pour une immersion totale de 24 heures dans les pas de Pablo Picasso, cet amoureux d’art et de géométrie qu’on ne présente plus.
Les 24h Picasso: un moment suspendu
A artiste exceptionnel, invités exceptionnels, c’est dans une atmosphère relâchée de week-end et de douceur de vivre que conférenciers, philosophes, musiciens, professeurs de yoga et artistes circassiens se relaieront pour sublimer ces 24h d’hommage à l’auteur des Demoiselles d’Avignon.
La foule s’agglutine dès 9h30 pour ce qui sera une grande première dans ce petit hôtel particulier de la rue de Thorigny. Le quartier du Marais revêt ses habits de lumière, des spots roses nous accueillent, l’exposition est empreinte d’émotions, les sculptures touchent par leur simplicité, les tableaux sont remplis de couleurs vives, la fresque du sous-sol nous scotche littéralement aux bancs de bois, sur lesquels on s’adonne à la rêverie, dans une atmosphère calme et silencieuse.
Ateliers créatifs, conférences, expositions, on vit Picasso, on réfléchit, sur sa vie, ses oeuvres, le beau, le vrai, même le moins charmant a un goût d’élégance. Le parquet à chevrons nous guide d’une salle à l’autre dans l’univers hors du commun et non moins fantaisiste du maître Picasso. Toiles, sculptures, dessins au fusain: Les commentaires sont nombreux, la magie opère, même auprès des enfants.
Promeneurs et passionnés se sont également donnés rendez-vous au niveau 3 du Musée pour la première représentation de la journée, y flânent, s’adonnent à quelques lectures, partagent leurs impressions sur l’exposition en attendant que la compagnie d’artistes de cirque entre en scène.
La compagnie XY, art figuratif d’exception
La compagnie XY a été invitée à investir les lieux pour cet événement particulier. Composée de 45 acrobates, cette compagnie se produit dans le monde entier.
Les premières répétitions ont débutées tôt ce matin sur le carré de pelouse du Musée Picasso, surplombant le jardin du Musée pour la compagnie XY.
En coulisses, dans un jargon que seuls les acrobates comprennent, la technique et les mouvements sont répétés à haute voix, tout est millimétré, comme du papier à musique, à l’instar de la patrouille de France, seconde après seconde. On chuchote, on se rassure, on s’embrasse pour se souhaiter bonne chance, l’émulation est belle, la poésie comme leitmotiv.
Le ton est doux mais solennel, un cercle noir se dessine dans la loge, il est question d’être « précis ensemble » lance Guillaume Sendron, un des acrobates en serrant ses collaborateurs pour un « Haka » général et bienfaiteur d’avant-scène. Les yeux sont concentrés mais les sourires se lisent déjà sur le visage des artistes, en bas de l’escalier de fer, qui portera la troupe jusqu’au dernier niveau du musée, heureux de retrouver un public à l’envie inchangée.
Adultes et enfants s’impatientent, la troupe est prête, la pression est palpable. 13h sonne: s’en suivra un impromptu par heure, cycliquement, avec la régularité d’une horloge, la précision d’un orfèvre. Alice, Paula, Otto, Clémence: Ils sont neufs à fouler la pelouse verte et dense du jardin du musée Picasso et ils sont attendus.
L’intimité de l’instant
Des silhouettes, toutes habillées de noir, se déplacent en silence depuis l’accès d’entrée au jardin, pour se regrouper au centre de la pelouse, imposant le respect et l’émerveillement, les enfants se taisent, les adultes sont médusés.
Crédit photos: Tom Liot
Dès les premiers mouvements des artistes, qui n’ont pas été annoncé pour créer cet effet de surprise enivrant, la fascination s’empare et se lit dans les yeux des spectateurs. Les premiers pas sont précis. Les corps se rejoignent et se regroupent en un igloo de chair et d’émotions, se mélangent et se tordent en harmonie. Les postures des artistes représentant tour à tour des sculptures inspirées des travaux de Picasso. Dans cette dynamique, à raison d’une représentation par heure, six impromptus acrobatiques qui dureront quelques minutes chacun s’enchaîneront jusqu’à la fin de l’après-midi.
La grâce comme fer de lance, les neufs danseurs acrobatiques professionnels multiplient des envolées, des écroulées, des postures et des figures acrobatiques, mêlant poésie et sensibilité. La foule est silencieuse, admirative, le souffle coupé. Ces pyramides de corps et d’esprit enchantent petits et grands. « Oh maman, regarde la dame touche le ciel » lance une fillette au cheveux d’or, les yeux ébahis, ses parents absorbés tout autant, devant ce moment de simplicité hautement concentré en émotions. « C’est très impressionnant ! » me lance également un octogénaire émerveillé, il n’y a, semble-t-il, pas d’âge pour ressentir de belles émotions de première fois.
Les femmes repartent discrètement, les hommes suivent tout en finesse, comme ils sont arrivés, sous les applaudissements et des sifflets enjôleurs en prime.
La foule tente de verbaliser les mouvements, chorégraphiés comme un ballet d’avions de chasse, les placements dans l’espace sont tranchés, les déséquilibres forment une dynamique, les postures soufflent un air d’admiration, et elles sont exécutées si facilement que l’ensemble en devient troublant, tous sont habités d’une ferveur commune, les déplacements sont parfaits, la recherche des postures, soignée.
Vont s’enchainer pendant près de 18 minutes, des constructions et des reconstructions en dehors de toute loi de gravité: colonnes à 4, émergence de statues, écroulés, hirondelles, corps à corps et colosses, des enchaînements plein d’audace et de magnétisme, dans une cohérence architecturale. A l’heure des mises aux points, le premier debrief se poursuit, en vidéo, dans une atmosphère chaude et décontractée, sous l’oeil avisé de Peggy Donck, productrice de la troupe, les artistes sont satisfaits.
Crédit Photos: Tom Liot
Aussitôt terminés leur représentation, au fil de couloirs interminables, ces neufs magiciens du porté se réunissent à nouveau dans cette bibliothèque Picasso, au sous-sol, devenue pour quelques heures leur soupape de décompression d’après spectacle, leur cantine, leur repos leur havre de relâchement.
Chaque pause sera l’objet d’un bilan, court mais utile, pour toujours s’améliorer, composer, autrement, mieux, à la perfection, dans le respect de la place de chacun, de cette famille composée pour l’événement, car rappelons-le, ces artistes de l’air venues de troupes différentes, s’assemblent pour l’occasion suivant leur disponibilité parisienne.
La pluie s’invitant à la fête après un déjeuner tardif, le spectacle de 16h est reporté, tristement. Les acrobates le regrettent, jouent de l’harmonica, échangent, rient, profitent du moment. Le spectacle final aura finalement lieu un peu après 17h, avec une foule plus dense cette fois, et avec toute l’intensité des dernières retrouvailles avant la prochaine représentation, électrisant les spectateurs.
Bouleversant, intimidant, stupéfiant, épatant : les adjectifs ne manquent pas pour qualifier ces artistes et ces moments suspendus.
« Les corps se sculptent ensemble dans un élan de présent »
Airelle CAEN, présente dans la compagnie depuis ses prémisses, soit près de quinze ans se confie sur les ressentis des uns et des autres suite à ces impromptus. Le cirque contemporain est pour elle une recherche, une inspiration poussée qui se transforme en corps, en mouvements, en énergie.
« J’aime les concepts hybrides, rien ne vient de nulle part, tout est inspiré de quelque chose d’existant ». En tant que collectif, après un arrêt brutal pour cause de Covid, la sédentarité a été mal accepté par les artistes acrobates, tant par le corps que par l’esprit, en tournée depuis des années et s’obligeant à rester statique du jour au lendemain.
Crédit photos: Tom Liot
La pratique a besoin de quotidien pour s’entretenir, exceller, briller. Dans le corps, les réflexes, la stimulation, dans la préhension du corps de l’autre, il a fallu redémarrer le travail, porté par une fureur d’être de nouveau sur scène. « Il y avait dans le public, quelque chose de l’ordre de l’effervescence, un moment très beau » éprouvé de nouveauté, la foule était effectivement au rendez-vous et a su marquer son un mot, l’esprit des acrobates, éloignés des scènes depuis un long moment.
La préparation et l’entraînement ont été rapides, les artistes ont du conjugués avec leur souvenir, les gestes sont répétés depuis longtemps par chacun des membres de la troupe, les matériaux sont malaxés, chaque membre de la troupe, même s’ils ne sont pas issus des mêmes « projets spectacles « Les Voyages », Möbius » se connaissent dans un terreau commun où il est facile d’y faire pousser des « choses ». On s’en doute, la période de pause due au Covid a démultiplié l’essence même du métier d’artiste de cirque, l’envie, le côté vital, essentiel.
« L’inspiration nous est venu des photographies de sculptures de Picasso et Rodin, il y a dans notre préparation quelque chose de très similaire à la recherche d’un sculpteur notamment dans l’application des gestes, faire, refaire, notre pratique est empreinte de la répétition en boucle » me confie Airelle, « on se retrouve instinctivement et naturellement, les corps se sculptent ensemble, et notre vocabulaire peut-être aussi technique qu’un artiste sculpteur. » Le chemin était donc assez évident pour ces artistes de cirque issus de troupes différentes, de glisser dans cette composition artistique en hommage à Picasso.
Ces temps de scène sont précieux, courts, intenses. Il a fallu fabriquer vite, dans la précipitation, à l’instinct, et c’est ce qui donne toute la teneur à ces scènettes. Le côté immédiat ne laisse pas la place au doute, l’élan rappelle l’instinct, l’instinct le moment présent. Être dans le moment présent est inévitable sur scène, ce qui est moins évident dans la vraie vie.
« Le spectacle vivant m’inspire aussi dans l’élan de mon quotidien, on convoque nos émotions de manière assez naturelle pour composer, ici, nous avons tous été touché par le travail sur les étreintes, nous sommes dans le toucher, ce qui est complètement inhérent à notre pratique, après cette période de covid où nous n’avions pas le droit de nous embrasser, de s’approcher. » L’étreinte raconte beaucoup, et transmet de l’espoir, dans ces scènettes, le public ressent la proximité des corps, l’humanité des uns et des autres, l’envie de montrer que cela est toujours possible.
Le matériau, que sont les corps, se forme, se déforme, se transforme, comme une métamorphose. L’ émotion arrive de cette recherche corporelle, complètement déculpabilisée, dans laquelle les acrobates se touchent, s’abandonnent. « Cela fait partie de notre quotidien et de notre simplicité, nous ne surajoutons pas l’étreinte, nous en avons simplement besoin, cela nous nourrit sans avoir besoin d’en parler, c’est un feu intérieur, une présence, une osmose. »
Le spectacle vivant a quelque chose de chimique, à l’instar d’une rencontre électrique entre deux personnes, son lot d’émotions qui nous submerge.
Vous pouvez d’ores et déjà retrouver toutes les dates des prochains spectacles de la compagnie XY juste ici.
A noter que la compagnie XY se produira d’ici quelques semaines à La Grande Halle de la Villette à Paris.
Réservation et places disponibles ici.
Informations pratiques : Exposition permanente Picasso-Rodin visible jusqu’au 2 janvier 2022.
Musée national Picasso/Paris
5, rue de Thorigny 75003 Paris
01 85 56 00 36.
Crédit photos: Tom Liot.
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