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LA GUERRE EN UKRAINE VÉCUE EN DIRECT SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

Depuis le début des conflits en Europe de l'Est, Twitter et TikTok sont inondés d'images de la guerre.

Le 17 janvier 1991, le monde entier regardait avec stupéfaction à la télévision les premières images en direct du bombardement en Irak par la coalition occidentale lors de l’Opération Tempête du désert au plus fort de la guerre du Golfe. Pour la première fois de l’histoire, le public mondial a suivi un conflit armé en direct 24 heures sur 24 grâce à la couverture quotidienne de la chaîne américaine CNN.

Douze ans plus tard, la même chose s’est produite lors de l’invasion de l’Irak : à travers des télévisions dans leurs maisons, le public a suivi le spectacle d’images de la destruction de la guerre dans les cieux et le désert irakiens.

La dramatisation de la guerre dans la couverture journalistique au début des années 1990 et 2000 s’est opérée avec l’arrivée des communications par satellite et la généralisation d’internet. A cette époque, le journalisme connaît « l’ère de l’immédiateté » en raison de l’amélioration technologique des médias disponibles, notamment avec la communication par satellite, la télévision par câble et le passage de l’analogique au numérique. Ainsi, les frontières entre la guerre et le public se sont resserrées.

Avec les innovations technologiques qui se sont développées au fil des décennies, le contact avec les fronts de bataille est encore plus accessible : si auparavant il fallait rester devant la télé, aujourd’hui, la guerre s’invite sur les écrans des smartphones n’importe où, n’importe quand. Tout ce dont vous avez besoin est un accès à Internet et aux réseaux sociaux.

 

Crédit photos: AFP.

 

Depuis le début de l’invasion des troupes russes en Ukraine fin février 2022, les réseaux sociaux, principalement Twitter, ont été inondés de plusieurs vidéos et photographies qui montrent simultanément l’avancée de l’armée de Vladimir Poutine sur le territoire ukrainien. Avant même le début officiel du conflit, les citoyens et militaires ukrainiens partageaient déjà sur TikTok de courtes vidéos qui montraient le mouvement des troupes russes aux frontières.

Dans un article publié fin février sur le site de CNN Brésil, le journaliste Ramishah Maruf explique que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été appelée « la guerre TikTok », puisque les utilisateurs de la plateforme « ont publié avec acharnement l’escalade militaire à la veille de l’invasion, alors que c’était encore niée par les Russes ». Selon l’article, les influenceurs ukrainiens d’Instagram ont fini par devenir des témoins de zone de guerre et des militants anti-guerre.

Lors de la recherche de contenu sur l’application TikTok avec #Україна (#ukraine, dans la langue locale), d’innombrables vidéos émergent qui montrent des soldats et des prisonniers de guerre sur les champs de bataille, des citoyens dans les abris des stations de métro de Kiev et de Kharkiv, la destruction de villes, chars et missiles détruits, parmi d’autres scénarios de conflits quotidiens. La somme de toutes les vues avec ce hashtag est de plus de 200 millions à ce jour.

 

Crédit photos: Capture d’écran TikTok.

 

Selon le journal britannique The Guardian, des responsables ukrainiens ont créé une chaîne Telegram intitulée « Find Your Own », dans le but d’identifier les prisonniers de guerre, « au grand dam des familles qui ne savaient pas que leurs proches faisaient partie de la de l’invasion ». Ainsi, les autorités publient quotidiennement des dizaines de vidéos de ce qu’elles prétendent être des soldats russes capturés. La chaîne Telegram a été diffusée pour la première fois le 27 février, créée par le ministère de l’Intérieur ukrainien. Dans l’une des vidéos, un soldat visiblement blessé s’identifie comme Leonid Paktishev, le commandant d’une unité de tireurs d’élite basée dans la région de Rostov. L’identité de Paktishev a été confirmée par sa famille et un contact direct a été établi entre eux.

Comme on peut le voir, les réseaux sociaux jouent un rôle clé au niveau de la communication au milieu de l’un des plus grands conflits armés en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais outre les autorités et les simples usagers, de nombreux professionnels des médias utilisent également leurs propres réseaux sociaux pour diffuser au monde, la plupart du temps en direct, les événements de la guerre en Europe de l’Est.

La couverture de l’actualité de la guerre en Ukraine sur Twitter

Dans une autre nuit à Kiev, le journaliste de la chaîne de télévision américaine CBS News Charlie D’Agata a mis fin à sa participation en direct lorsqu’un flash a illuminé le ciel. Le correspondant et son équipe ont été surpris et, peu après, une explosion a été captée par la caméra. Ensuite, ils se sont accroupis pour se protéger. Ces images n’ont pas été diffusées en direct, mais dès qu’elles ont été partagées sur Twitter par la productrice Justine Redman, les images ont fait le tour du monde. A ce jour, la vidéo sur son réseau social compte plus de 7 000 partages et 17 000 likes.

Depuis le début de leur séjour en Ukraine, les correspondants étrangers partagent sur leurs réseaux sociaux personnels non seulement les coulisses du reportage, mais aussi leur quotidien en zone de guerre à travers des informations factuelles, opiniâtres ou non. Twitter est le média social majoritairement utilisé par ces journalistes qui produisent du « contenu supplémentaire », ce qui n’est généralement pas diffusé dans les reportages de leurs chaînes de télévision.

 

Crédit photos: Capture d’écran Twitter. 

Le correspondant de Fox News Trey Yingst est un utilisateur extrêmement actif de son Twitter personnel depuis le début des tensions à la frontière ukrainienne avec la Russie. Son contenu publié se compose principalement de photos et de courtes vidéos au milieu des rues détruites de Kiev, partageant des informations d’autres utilisateurs de la plateforme, des histoires de civils, et surtout des nouvelles de dernière heure : dès que des explosions ou des sirènes de raid aérien se font entendre, Yingst les partage immédiatement avec quelques mots sur son profil.

 

Crédits Photos : Capture d’écran Twitter.

A plusieurs autres reprises, Yingst, ainsi que d’autres correspondants, annoncent les nouvelles attaques avec quelques caractères accompagnés d’une courte vidéo dans laquelle il est possible d’entendre le bruit des sirènes et le bruit des explosions. Ses vidéos cumulent jusqu’à 500 000 vues et des centaines de partages.

Un autre exemple, c’est le correspondant d’ITV News Dan Rivers : il produit son contenu exclusif pour son profil Twitter personnel. En même temps qu’il donne des informations sur le déroulement de la guerre, il montre par conséquent les coulisses de son travail. Sa vidéo mise en ligne le 3 mars, qui présente la destruction de la ville de Yakivlivka, compte près de 800 000 vues.

 

Crédits Photos : Capture d’écran Twitter.

 

Pour cet article, 32 profils sur Twitter de journalistes qui partagent activement leur couverture de la guerre en Ukraine ont été comptés jusqu’à présent, étant eux de différentes nationalités, comme les Américains, les Britanniques, les Français, les Brésiliens, les Israéliens et les Canadiens. Parmi eux, les journalistes locaux ukrainiens se distinguent également. En plus de produire des contenus présentant les mêmes caractéristiques que ceux des correspondants étrangers, les Ukrainiens se distinguent par leur parti pris plus opiniâtre, avec des signes de discours nationaliste et résistant — ce qui est compréhensible compte tenu du contexte de leur nation d’origine. De plus, la plupart travaillent pour des médias qui se définissent comme « indépendants », ce qui permet la production de contenus plus subjectifs.

Un exemple de ces journalistes locaux est la primée Nika Melkozerova, rédactrice en chef de New Voice of Ukraine. Elle compte plus de 111 000 abonnés sur son compte Twitter, où elle publie les derniers événements de la guerre accompagnés de son point de vue. D’autres exemples sont les journalistes Illia Ponomarenko et Oleksiy Sorokin, tous deux de The Kyiv Independent, qui publient constamment des informations et des opinions sur le conflit, souvent avec des photos et des vidéos produites par eux-mêmes. Chaque seconde, le nombre de partages de leurs tweets augmente considérablement.

Il est évident que les informations de guerre se transmettent à une plus grande vitesse, car outre les simples citoyens, les professionnels de la presse ont également adopté les réseaux sociaux pour rendre compte des faits du monde, dans un environnement où ils jouissent d’une plus grande liberté d’information sur la guerre sous différents angles.

En partageant leur expérience de la guerre avec d’autres utilisateurs de Twitter, les journalistes et les citoyens ordinaires peuvent transmettre un effet de réalité, en insérant le public dans l’environnement hostile qui est rapporté, en particulier quand des contenus visuels et sonores sont diffusés, comme c’est le cas avec les vidéos. Citoyens et professionnels des médias transmettent aux usagers toute la tension de la guerre ressentie par eux, le quotidien du conflit en montrant des civils dans les abris anti-aériens, les rues vides, et la mobilisation de la population contre les attaques russes imminentes.

Les réseaux sociaux ont redéfini l’idée du contrôle de l’information dans les zones de guerre : si auparavant les correspondants, souvent soumis à la censure gouvernementale, étaient les seuls détenteurs de l’information, aujourd’hui, les citoyens ordinaires dévoilent librement leur perspective de la guerre au monde. En même temps que des questions sur la véracité du contenu se posent, ils obtiennent toujours un facteur de crédibilité inévitable — à l’instar des reporters professionnels, les citoyens vivent la réalité du conflit sur place, en plus d’être détenteurs de connaissances sur l’histoire de leur pays. Ces facteurs peuvent donc ajouter de la crédibilité, voire de la véracité, à leurs reportages, même s’ils restent subjectifs (ce qui va à l’encontre de l’idéal d’impartialité journalistique).

Twitter et Telegram sur les champs de bataille

Au milieu des nombreuses informations sur la guerre en Ukraine, certains comptes Twitter se sont distingués par leur couverture spécifique des questions militaires. Pour la rédaction de cet article, dix comptes Twitter ont été trouvés, dédiés aux reportages sur les offensives de guerre, l’équipement militaire, entre autres sujets liés au conflit lui-même. La grande majorité de son contenu est constituée de photographies et de vidéos de champs de bataille (avec des scènes de soldats et de chars en action), de bombardements et de prisonniers de guerre. Certains tweets contiennent même du contenu de violence graphique (comme des photographies de soldats et de civils morts), bien qu’ils soient interdits par les règles du réseau social. Leurs tweets ont évidemment un engagement élevé.

Concernant l’identité de ceux qui maintiennent ces comptes, certains se définissent comme des journalistes, des spécialistes des études militaires et des relations internationales, et des historiens. Un exemple, c’est l’utilisateur Rob Lee, qui, selon sa biographie sur les réseaux sociaux, est doctorant au Département d’études sur la guerre du King’s College London et chercheur principal au Foreign Policy Research Institute. Avec plus de 370 000 abonnés, Rob Lee publie fréquemment des informations et des images de la guerre, en plus de publier ses analyses. Un autre utilisateur, décrit uniquement comme « marqs », dit qu’il publie et partage des retweets informatifs depuis 2010, principalement sur l’Ukraine. La plupart du temps, il utilise la ressource thread pour mettre à jour les informations sur le conflit. Il compte plus de 90 000 abonnés.

En revanche, un autre utilisateur qui a suivi et rendu compte de la guerre en russe et en ukrainien sur Twitter, nommé Igor Girkin, ne donne aucune information sur son identité. Ses tweets ont d’innombrables partages et likes par ses près de 150 000 abonnés.

Si certains de ces utilisateurs partagent des informations émises par des journalistes et des autorités, la plupart n’informent pas l’origine exacte du contenu qui est publié. Par conséquent, cette pratique peut compromettre la crédibilité et la véracité de ce qui est divulgué, bien qu’il soit encore partagé entre les utilisateurs d’innombrables fois.

Rob Lee, à son tour, rapporte quand son contenu a été extrait de certaines chaînes Telegram — il s’agit d’un autre média social largement utilisé pendant le conflit, comme mentionné précédemment. Pour ce texte, quatre grandes chaînes Telegram qui ont partagé des textes, des vidéos et des photographies ont été analysées : « Военный Осведомитель » (« Informateur militaire », en russe) compte actuellement 342 000 abonnés et il a déjà publié environ 50 700 photographies, 4 200 vidéos et 10 000 liens.

Les autres chaînes sont :

  • OSINT UKRAINE : Avec environ 40 100 abonnés, 803 photographies, 582 vidéos et 48 liens publiés,
  • Ukraine NOW [Russie] : avec environ 311 000 abonnés, 300 photos, 102 vidéos et 37 liens publiés (Cette chaîne porte le sceau de vérification d’authenticité, ce qui suggère qu’elle a été créée par une organisation officielle),
  • UKRAINE NEWS ARCHIVE : Avec environ 4 720 000 abonnés, 107 photographies, 113 vidéos et deux liens publiés (Dans la description de la chaîne, il est averti qu’il y a du contenu de guerre, ce qui est inapproprié pour les moins de 18 ans).

Sur les chaînes Telegram, les types de contenus prédominants sont liés aux attaques de guerre, comme des images d’attentats à la bombe, de fusillades, de chars dans les rues, d’avions de chasse traversant le ciel et de toute la puissance de feu. Les images de prisonniers, de morts et de blessés sont également fréquentes. De plus, des informations sont partagées sur les emplacements actuels qui sont attaqués. Toujours concernant la nature des images publiées, certaines vidéos proviendraient apparemment de TikTok, compte tenu de leurs caractéristiques (la grande majorité d’entre elles ont une courte durée). Ces mêmes vidéos sont également disponibles sur Twitter.

Comme première observation, il est possible de faire l’hypothèse qu’il existe une rétroaction entre les différents réseaux sociaux, c’est-à-dire que le contenu est initialement publié sur les médias sociaux, puis reproduit sur d’autres plateformes. Cette pratique rendrait alors difficile la connaissance exacte de l’origine des contenus massivement diffusés, ce qui peut mettre en péril sa crédibilité. Ce n’est pas un problème actuel en termes de complexité entourant l’utilisation des médias sociaux, mais lorsqu’il s’agit d’un scénario de guerre, où la désinformation est encore plus dangereuse, les inquiétudes sont plus que compréhensibles. Pour cette raison et d’autres, c’est un phénomène qui mérite d’être étudié en profondeur.

La couverture des conflits armés sur les réseaux sociaux au cours des années précédentes

Il n’est pas nouveau de suivre des crises ou des conflits armés simultanément sur les réseaux sociaux. Selon Arnaud Mercier, enseignant-chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’université Panthéon-Assas, les manifestations en Iran en 2009 ont été qualifiées de « Révolution Twitter ». Selon Mercier, dans son article « Twitter l’actualité : usages et réseautage chez les journalistes français », Twitter était utilisé comme principal moyen par les journalistes qui couvraient en direct par des retweets ce que les citoyens transmettaient, ou par des tweets envoyés par des journalistes . Des années plus tard, les réseaux sociaux ont été le théâtre de l’avènement du Printemps Arabe dans les pays d’Afrique du Nord.

L’un des événements du Printemps Arabe a été la guerre civile en Libye en 2011, qui s’est considérablement propagée par le biais d’images sur les réseaux sociaux. Le plus grand exemple a été la capture de l’ancien dictateur Mouammar Kadhafi : sur les réseaux sociaux, une vidéo amateur a été largement diffusée, montrant Kadhafi brutalement attaqué puis tué. La nouvelle de sa mort s’est répandue dans les médias numériques avant même la confirmation par les médias grand public. En fait, la presse mondiale a publié des photographies du corps de Kadhafi qui ont été prises par des citoyens ordinaires, comme l’analyse Cinthia Henriques dans sa recherche « Journalisme participatif et la mort de Mouammar Kadhafi ». Des années plus tôt, des vidéos qui montraient l’exécution de l’ancien dictateur irakien Saddam Hussein circulaient sur des forums Internet.

Un autre conflit récent qui fait l’objet d’une couverture considérable sur les réseaux sociaux est la guerre civile syrienne, qui dure depuis 2011. Dans un pays où la presse est contrôlée par le gouvernement, les médias alternatifs se sont tournés vers les médias sociaux pour montrer au monde leur point de vue sur la guerre. Dès 2019, le journaliste indépendant Moussa Al-Hassan a commencé à publier sur son compte Twitter les événements du conflit, notamment dans la région d’Idlib où persistent d’intenses offensives de guerre. Un autre exemple est l’On the Ground News, qui utilise Twitter et Telegram comme principales plateformes pour diffuser des informations sur les zones de conflit armé. Sur Twitter, le compte se décrit comme une « enterprise d’information/média composée d’une équipe de journalistes travaillant en Syrie, fournissant des informations exactes, vérifiées et à jour. Nous documentons les crimes de guerre Assad/Poutine ».

Sur Twitter d’On the Ground News et d’Al-Hassan, des informations sur les conflits armés sont constamment publiées et mises à jour, accompagnées de photographies et de vidéos, dont certaines avec des images sensibles qui dépeignent la violence de la guerre. Cependant, sa couverture journalistique n’a pas eu le même retentissement que celle du conflit actuel en Europe de l’Est.

 

Crédit photos: Capture d’écran Twitter. 

 

Ce n’est donc pas la première fois qu’une guerre est suivie en direct sur les réseaux sociaux. La nouveauté, c’est qu’au cours des dix dernières années, il y a eu une plus grande démocratisation de l’accès à l’information avec l’avancée technologique des téléphones portables et des réseaux sociaux. En d’autres termes, l’accès à Internet et aux médias sociaux est encore plus grand aujourd’hui.

De plus, les médias traditionnels utilisent désormais les mêmes ressources que les journalistes citoyens, principalement en ce qui concerne l’utilisation des réseaux sociaux comme plataforme de diffusion de l’information et l’usage du smartphone pour capter des images de manière quasi amateur mais avec un réalisme effet. Après tout, le contenu publié sur Twitter par un correspondant international notoire, qui compte déjà un grand nombre d’abonnés, peut avoir un taux d’engagement élevé, donc une répercussion plus rapide sur le réseau.

Défis et avantages

Il est inévitable de s’inquiéter de la désinformation dans l’environnement numérique, surtout dans un contexte de guerre où le pouvoir sur l’information est aussi crucial que les conquêtes sur les champs de bataille. Dans une déclaration au programme Reliable Sources de CNN, le correspondant Brian Stelter a cité comme exemple de désinformation sur les réseaux sociaux une vidéo de parachutistes russes, partagée sur Twitter et Tiktok, qui a en fait été filmée en 2015.

Sur son compte Twitter, l’AFP Checamos (la version brésilienne de l’AFP Factuel) a créé un fil de discussion (thread) dans le but d’enquêter sur les contenus douteux et viraux sur la guerre. Dans le fil, les utilisateurs peuvent demander à l’agence de vérifier certaines informations. Jusqu’à présent, la plupart du contenu vérifié provient d’images réelles qui ont été sorties de leur véritable contexte. Un exemple, c’est une image d’avions russes présumés survolant l’Ukraine, tandis que des sirènes se déclenchent pour avertir la population. Selon l’AFP, la vidéo date de 2020 et elle montre la répétition d’un défilé militaire à Moscou.

Crédit photos: Capture d’écran Twitter. 

 

Jane Lytvynenko, journaliste d’investigation et chercheuse spécialisée dans la désinformation, a déclaré dans une interview à CNN que la propagande politique est un mécanisme de guerre et que le but de la propagande originaire de Russie est de créer des récits ukrainiens et de semer la panique parmi le peuple ukrainien. Avec cela, Brian Selter avertit que « plus les informations sont dramatiques et spécifiques, plus le public devrait être méfiant », et il ajoute que « les rapports les plus fiables seront ceux provenant de sources de haut niveau ».

Cependant, la manipulation de l’information peut aussi être faite par des citoyens, des utilisateurs ordinaires. Jean-Jacques Bogui et Christian Agbobli, professeurs et chercheurs à l’Université du Québec, soutiennent également que les médias sociaux ne sont pas à l’abri de la désinformation. Dans leur article « L’information en période de conflit ou de crise », les auteurs s’accordent à dire que les buts poursuivis par la falsification de l’information au sein des médias numériques sont généralement les mêmes au sein des médias grand public dans de telles circonstances : diaboliser l’adversaire, s’attirer la sympathie de l’opinion publique internationale, fabriquent le consentement de l’opinion publique et justifient l’intervention étrangère.

L’utilisation des réseaux sociaux comme plateforme d’information pour le conflit est également sensible à un autre problème : l’excès d’information dans son immédiateté. Selon le chercheur portugais Élvio Carvalho, ce fut l’une des conséquences négatives de la couverture quotidienne et en direct de CNN pendant la guerre du Golfe : dans son analyse, il a identifié une diffusion considérable d’informations sans grande pertinence qui se concentraient massivement sur les images du « spectacle de guerre ». A l’heure actuelle, avec la vitesse de propagation sur les réseaux sociaux et avec la pluralité des créateurs de contenus, il n’est pas impossible qu’il y ait un excès d’informations. Il convient également de mentionner que, comme cela a été observé, le contenu sur la guerre a un fort engagement, ce qui peut éveiller l’intérêt des individus à utiliser des images sensationnalistes, et même de fausses nouvelles, comme stratégie pour gagner des likes et des followers.

Face à ces défis, il appartient aux médias professionnels de maintenir et d’améliorer leur « rôle de surveillance » avec leur service de vérification des contenus, ce qui a été largement fait ces dernières années mais dans des scénarios différents.

Il est évident que la couverture de la guerre en Ukraine sur les réseaux sociaux n’a pas que des conséquences négatives. Selon Bogui et Agbobli, l’émergence des réseaux sociaux a non seulement provoqué des changements dans la circulation et la diffusion de l’information en temps de conflit et de crise, mais aussi dans les relations avec l’État. Quel que soit le pays dans lequel opèrent les médias, ils reflètent son contexte socio-politique. Pour ces raisons, l’émergence des médias sociaux est considérée comme une opportunité de réduire le pouvoir de contrôle et de manipulation des médias de masse en temps de guerre ou de crise.

De plus, en facilitant l’expression des citoyens, les réseaux sociaux participent à l’éveil de la conscience militante. Cette observation est liée à la déclaration de David French, rédacteur en chef du magazine en ligne The Dispatch : dans une déclaration à CNN, French estime que l’immédiateté des flux sur les réseaux sociaux a peut-être conduit les pays occidentaux à faire dans des sanctions plus strictes.

L’activisme sur les réseaux sociaux contre la guerre peut contribuer à la mobilisation des autorités, en dirigeant les yeux du monde sur les violations qui se déroulent dans un pays étranger. Les réseaux sociaux dans les zones de guerre peuvent donc servir d’outils pour documenter les violations des droits humains. Dans quelques secondes, une vidéo qui montre des attaques violentes contre la population civile atteindra les yeux du monde entier. Les réseaux sociaux, actuellement Twitter et TikTok, font place aux témoins de la guerre. Par conséquent, il devient plus difficile pour les gouvernements de cacher leurs crimes de guerre.

Un domaine encore à explorer

Évidemment, cet article n’est que le résultat d’une première analyse de l’utilisation des réseaux sociaux comme plateformes d’information dans la guerre d’Ukraine. En seulement une semaine de conflit, un matériel a été produit dans lequel il est possible d’observer ses divers et possibles effets de sens, tels que : l’effet de proximité du public avec la réalité de la guerre et de ses victimes, lié à la réalité crédible et l’instantanéité de l’information ; celui de la véracité, du drame, le sentiment de suivre un conflit armé en direct à toute heure du jour ou de la nuit. De toute façon, des recherches bien conçues seraient encore nécessaires pour analyser les conditions de production de ce type de contenus et sur le faire du journalisme de guerre à l’ère du numérique.

La guerre en Ukraine n’aurait pas pu être la première guerre à être diffusée en direct sur les réseaux sociaux, mais la guerre qui a reçu une large couverture médiatique avec la présence de différents auteurs, créateurs de contenu, tels que des correspondants étrangers, des journalistes locaux, des citoyens ordinaires, des militaires, etc., ce qui réaffirme l’idée de réorganiser les rédactions des grands médias, la fin du monopole de l’information, entre autres caractéristiques de la presse traditionnelle.

Ce qui se passe actuellement en Ukraine devrait donner lieu à de nombreuses (et nécessaires) études dans différents domaines de recherche, notamment dans le domaine des Sciences de l’Information et de la Communication, selon diverses perspectives, telles que le cadrage médiatique, le pouvoir de programmation des médias, la complexité des gatekeepers et l’analyse des discours médiatiques.

Gisela Cardoso Teixeira, journaliste, attachée de presse.

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