PARIS CLIMATE FINANCE DAY 2020
Mesdames, Messieurs, C’est toujours un plaisir d’être ici chaque année. Beaucoup de choses se sont passées au cours des derniers mois ainsi que dans les dernières heures. La Covid a provoqué une chute sans précédent du PIB au premier et au deuxième trimestre et sa deuxième vague déclenchera une autre baisse au quatrième trimestre, quoique, […]
Mesdames, Messieurs,
C’est toujours un plaisir d’être ici chaque année. Beaucoup de choses se sont passées au cours des derniers mois ainsi que dans les dernières heures. La Covid a provoqué une chute sans précédent du PIB au premier et au deuxième trimestre et sa deuxième vague déclenchera une autre baisse au quatrième trimestre, quoique, espérons-le, moins sévère. En pensant à court terme, on pourrait soutenir qu’il y a un arbitrage à faire entre le soutien à une reprise rapide et la lutte contre le changement climatique. Je suis convaincu du contraire : la reconstruction est une opportunité pour accélérer la transition vers une croissance plus verte. Il ne peut s’agir d’un simple redémarrage : à cause du climat aussi, nous devons être Schumpétérien.
La Banque de France et l’ACPR sont plus engagées que jamais et nous avons réalisé ce que nous avions annoncé l’année dernière ; en dépit de la crise de la Covid-19, nous « sommes passés des mots aux actes » (1). Mais nous avons également constaté, à travers notre expérience, qu’il existe plusieurs obstacles méthodologiques s’agissant des données et des pratiques en matière de déclaration. À plus long terme, nous devons résoudre ces questions afin de mieux évaluer et rendre publics les risques liés au climat (2).
1. La Banque de France/ACPR a tenu ses promesses sur le climat
1.1. L’exercice pilote de l’ACPR et le rapport de la CCFD (Commission climat et finance durable)
Malgré la crise de la Covid-19, l’exercice pilote sur les tests de résistance, que j’avais annoncé ici même il y a un an, a débuté en juillet et ses résultats seront publiés en avril prochain. Les principales institutions financières françaises (banques comme assurances) réalisent actuellement cet exercice. Cet exercice est le premier de cette nature mené dans le monde. Ses objectifs sont de deux ordres :
1/ Mieux évaluer l’exposition des banques et des sociétés d’assurance aux risques climatiques (risques physiques et risques de transition) de manière prospective/dynamique.
2/ Aider le secteur à mieux prendre en compte les risques liés au changement climatique, à améliorer les modèles et les méthodologies d’évaluation et à identifier les lacunes en matière de données. Par ailleurs, nous espérons avoir élaboré une méthodologie pour les tests de résistance climatique qui pourra être affinée dans le temps et que d’autres banques centrales et d’autres autorités de surveillance pourront suivre.
L’ACPR a également publié en mai dernier un Guide qui recense les meilleures pratiques s’agissant de la gouvernance des risques climatiques pour les banques.
En outre, la CCFD de l’ACPR (notre nouvelle Commission consultative sur le climat et la finance durable) a assuré le suivi des engagements pris publiquement par les institutions financières de se retirer des secteurs à forte intensité en carbone. Le rapport conjoint préliminaire ACPR-AMF publié ce matin souligne les progrès réalisés par le secteur financier français, mais également le besoin d’harmonisation.
1.2. Le NGFS poursuit sur sa lancée
Sur le plan international, c’est une source de grande fierté de voir le NGFS, que nous avons lancé il y a près de trois ans à Paris – avec sept autres membres fondateurs – et dont nous assurons le Secrétariat, s’épanouir avec plus de 70 membres, couvrant cinq continents. Grâce à ses travaux, le NGFS a livré à ce jour plus de six rapports techniques, faisant suite aux six recommandations que nous avions publiées dans notre premier rapport complet (avril 2019). Permettez-moi de mettre en exergue trois de ses publications les plus récentes, qui apportent des éléments fondamentaux pour un cadre d’évaluation du risque climatique :
– Le « Guide for Supervisors », publié en mai dernier, définit des recommandations pour les superviseurs du secteur bancaire et des assurances (par exemple : identifier les expositions des entités supervisées qui sont vulnérables aux risques climatiques et environnementaux et évaluer les pertes potentielles liées) ;
– Le « Guide on climate scenario analysis for central Banks and Supervisors », publié en juin dernier, qui a pour objectif de fournir un point de départ commun pour analyser les risques climatiques pesant sur l’économie et le système financier. De fait, l’exercice pilote de l’ACPR s’appuie sur ces scénarios climatiques du NGFS ;
– Le NGFS a également commencé à étudier le lien entre changement climatique et politique monétaire dans une publication intitulée « Initial takeaways » en juin 2020. En se fondant sur un examen exhaustif de la littérature et des analyses d’experts existantes, ce document fournit de premières réponses aux questions suivantes : (i) comment le changement climatique affecte-t-il les principales variables macroéconomiques ? Et (ii) quels sont les effets sur les canaux de transmission de la politique monétaire et l’évaluation par les banques centrales de leur marge de manœuvre ?
1.3. La revue stratégique de la BCE sera l’occasion de favoriser la prise en compte des risques liés au changement climatique dans le cadre de la politique monétaire
Ces réflexions des banquiers centraux se traduisent également par des actions. La BCE, sous la présidence de Christine Lagarde, a décidé d’intégrer dans sa revue stratégique la manière dont la politique monétaire peut contribuer à la lutte contre le changement climatique. N’écoutez pas ceux qui disent que cela dépasserait le cadre de notre mission, ou que cela nécessiterait de modifier notre mandat : je refuse cet « appel à l’inaction » et le changement climatique affectera, et affecte déjà, notre mandat actuel de stabilité des prix. Cela nécessitera un travail considérable, aussi bien dans la recherche macroéconomique que microéconomique – nous devons enrichir nos modèles pour prendre en compte les effets du changement climatique – et, dans la méthodologie opérationnelle, – nous devons réévaluer nos garanties afin d’y inclure les risques climatiques.
2. Des progrès sont nécessaires dans la publication d’informations relatives au climat afin de permettre une analyse cohérente des risques
Il existe de nombreuses initiatives en matière de publication d’informations – et permettez-moi de rendre tout particulièrement hommage au Groupe de travail du Conseil de stabilité financière sur la publication d’informations financières relatives au climat (TCFD) –. Mais l’insuffisance actuelle de données granulaires et comparables dans le domaine des risques climatiques nuit à notre capacité à mettre en œuvre l’évaluation des risques financiers liés au changement climatique.
2.1. De nombreuses données nécessaires manquent tout simplement
Pour favoriser la disponibilité des données au sein du secteur financier, le NGFS a lancé au cours de l’été 2020 des travaux ambitieux visant à identifier et à cartographier les données manquantes (financières et non financières) pertinentes pour l’analyse des risques climatiques. Nous attendons avec impatience la publication des résultats préliminaires courant 2021 : une liste détaillée des rubriques actuellement manquantes, mais nécessaires.
2.2. Les informations actuellement publiées ne sont souvent guère comparables
Toutefois, les données disponibles doivent également être suffisamment comparables pour être traitées facilement à grande échelle, avec des résultats fiables. Pour résoudre ce problème, la réglementation doit être plus précise et normative en matière de publications d’informations liées au changement climatique par les sociétés financières et par les entreprises, y compris les PME (avec proportionnalité). C’est pourquoi nous avons besoin de normes de déclaration harmonisées et relativement granulaires.
La France et l’UE sont en pointe sur ce sujet et ont déjà mis en œuvre des exigences de publication d’informations ciblées (l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique en France/le règlement à paraître sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers – Sustainable Finance Disclosure Regulation, SFDR –, dont la mise en œuvre en Europe est attendue en mars). Cependant, cela ne suffit pas encore, car les données publiées manquent actuellement d’homogénéité et de comparabilité : il s’agit là d’une lacune majeure de la mise en œuvre de l’article 173 en France, par exemple. Nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer et de comparer les résultats des institutions financières dans nos rapports publics.
Je suis convaincu que l’UE doit conserver son avantage en tant que précurseur dans la normalisation des données climatiques. Après l’adoption, en décembre dernier, d’un système de classification des activités économiques durables (ou taxonomie), la publication d’informations en la matière est en effet la prochaine étape cruciale qui nous permettra d’intégrer la finance verte. J’attends le rapport que le groupe consultatif pour l’information financière en Europe (EFRAG) prépare activement en ce moment pour traiter cette question. [Rapport devant être publié le 31 janvier 2021]
Pour les données non financières, nous devons en effet nous efforcer de concevoir notre propre cadre, qui réponde à nos propres besoins (ce qui veut dire, par exemple, intégrer le concept ambitieux de double matérialité). Il s’agit d’une responsabilité européenne et cette responsabilité est publique : nous ne pouvons pas la laisser simplement aux organismes privés, au niveau mondial. Nous devons nous engager à rendre notre cadre commun opérationnel et facile à transposer. Nous, Européens, serions alors en mesure d’inspirer les initiatives internationales potentielles visant à établir un cadre mondial de déclaration en matière d’activités économiques durables, puis de nous assurer que les normes de l’UE sont largement reconnues.
Cette initiative nécessaire pour l’UE a également des implications domestiques : nous devrons appliquer le nouvel article 29 de la loi « énergie et climat », qui remplacera l’article 173. Je souhaite sincèrement que l’ACPR, conjointement avec le Trésor français, puissent utiliser le décret qui doit être publié au début de l’année prochaine pour renforcer l’harmonisation avec la future norme européenne. Sinon – mais ce serait un deuxième choix – nous devons au moins garantir une comparabilité française.
J’ai insisté sur ce que nous pouvons faire, ce que nous devons faire, et ce que nous ferons en matière de surveillance prudentielle, de politique monétaire, et d’harmonisation des publications d’informations financières. Pour conclure, permettez-moi de vous rappeler que les banques centrales ne peuvent pas tout : pour donner un exemple évident, seule une tarification adéquate du carbone permettra d’intégrer pleinement les risques climatiques dans toute décision relative à l’activité économique. Nous ne pouvons pas tout faire, mais soyez assurés que nous ferons le maximum.
Discours de François Villeroy de Galhau,
Gouverneur de la Banque de France
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