SANTÉ : « S’ISOLER DE SA FAMILLE, NE PAS APPROCHER SES PROPRES ENFANTS, CE N’EST PAS UNE VIE » JESSICA SCEMAMA
1. Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre collectif ? Je suis Jessica Scemama, j’ai 22 ans et je suis étudiante en quatrième année dans une école de communication et de marketing. Je suis proche d’une personne vulnérable au Covid-19. Dès la fin du confinement, vers la fin juin, nous avions beaucoup d’interrogations concernant l’arrêt du […]
1. Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre collectif ?
Je suis Jessica Scemama, j’ai 22 ans et je suis étudiante en quatrième année dans une école de communication et de marketing.
Je suis proche d’une personne vulnérable au Covid-19.
Dès la fin du confinement, vers la fin juin, nous avions beaucoup d’interrogations concernant l’arrêt du dispositif qui protégeait les personnes vulnérables. Il y avait beaucoup d’incertitudes dans les médias, dans les réponses de l’Assurance Maladie et même sur le site du Gouvernement. Cette incertitude et le silence des autorités m’a poussée à me tourner vers des groupes Facebook lancés par des personnes vulnérables qui cherchaient, elles aussi, des informations. Très vite, j’ai été confrontée au désarroi et à la peur des gens. J’ai rencontré de nombreuses situations très différentes. J’ai essayé de leur venir en aide en leur fournissant des réponses lorsque je parvenais à trouver des éléments.
Le collectif est né grâce à la solidarité exceptionnelle entre les personnes vulnérables et les proches de personnes vulnérables face à une situation aussi inédite que difficile.
Fin août, nous avons senti l’épée de Damoclès se rapprocher de la tête des personnes vulnérables. J‘ai d’abord tenté d’alerter l’opinion publique sur le sort des personnes vulnérables avec une lettre ouverte. Elle a été partagée plusieurs centaines de fois. J’ai donc pris l’initiative de regrouper tous ces gens et je leur ai proposé de mener des actions ensemble sous le terme «Collectif Vulnérables sacrifiés». Le 31 août, veille de la reprise des vulnérables, nous avons déclenché notre fameuse pétition sur Change.org qui a déjà réuni à ce jour près de 38 000 signatures.
Notre première vocation est d’œuvrer pour la protection de toutes ces personnes vulnérables et de leurs cohabitants. Cependant, depuis le début, nous accompagnons et soutenons également quotidiennement ces personnes.
C’est un très gros travail collectif et je remercie toutes les personnes qui se sont mobilisées, et qui se mobilisent encore, pour tenter de faire avancer les choses.
2. Quel est le problème actuel des personnes vulnérables au Covid-19 ?
Les personnes vulnérables sont toujours dans une situation délicate voir critique pour certaines.
Après avoir été mises en danger par le décret du 29 août réduisant drastiquement la liste des pathologies à risques, elles ont pu, pour la plupart, s’isoler le 15 octobre après la suspension de l’acte réglementaire par le Conseil d’État.
Et désormais elles risquent de nouveau d’être en danger.
Le décret du 10 novembre est un trompe l’œil, il intègre plus de pathologies contre moins de sécurité et impose des choix inacceptables notamment entre santé et emploi.
Il délègue à l’employeur le pouvoir d’imposer le présentiel à l’employé vulnérable au prétexte de mesures de sécurité renforcées. Vous voyez un employé affronter son employeur et lui dire non, je ne viens pas travailler, c’est trop risqué ? Certains le feront, mais beaucoup d’autres, non. Les personnes à risques sont épuisées d’être malmenées de cette manière et n’auront pas le courage de lutter.
Je ne vous parle pas de la pression qu’elles subissent déjà et de la peur constante des autres qui craignent d’être rappelées en présentiel.
Quant aux mesures qui prévalent désormais sur le certificat d’isolement établi par le médecin, seront-elles respectées sur le long terme ? Sont-elles suffisantes ? Sûrement pas.
Avoir un bureau isolé lorsque vous prenez les transports en commun ça ne sert malheureusement à rien.
Le respect de l’avis émis par le médecin traitant et/ou le spécialiste est essentiel, car la médecine du travail ne pourra pas faire de cas par cas. Les médecins du travail sont déjà débordés, comment pourront-ils s’assurer que les gestes barrières sont parfaitement respectés tout au long de la journée et par tous les autres salariés ?
Enfin, les cohabitants ne sont toujours pas protégés, les personnes vulnérables peu importe leur pathologie demeurent en danger même chez elles.
Porter un masque continuellement, s’isoler de sa propre famille, ne pas approcher ses propres enfants, et encore, quand c’est possible. Ce n’est pas une vie.
3. Une personne de votre entourage est vulnérable face au Covid-19 quelles sont les difficultés auxquelles elle fait face ?
Mon amie fait partie “des plus vulnérables des vulnérables” selon le ministre de la Santé Olivier Véran.
Depuis 8 mois, elle a dû mettre sa vie sur pause et s’isoler des gens qu’elle aime dont ses parents et ses petits frères qui doivent “vivre avec le virus”.
Elle est également étudiante et bataille pour valider sa quatrième année car elle n’a pas pu trouver de stage en télétravail dans son secteur. Financièrement, c’est également difficile puisqu’elle a dû quitter son job étudiant au début de l’épidémie pour préserver sa santé, avec lequel elle finançait ses études. L’aspect médical est aussi compliqué car elle ne peut plus bénéficier d’un suivi correct. Une prise de sang, un examen médical, se rendre simplement chez son médecin traitant l’expose trop aux risques.
Si ce n’était que ça ! Son petit ami avec lequel elle vit, travaille dans la restauration. Pour le moment par chance, il est maintenu au chômage partiel mis en place pour pallier aux difficultés économiques que rencontrent les restaurateurs. Cependant, il pourrait être rappelé d’une minute à l’autre en présentiel dès l’ouverture des restaurants. Elle est hantée par cette peur.
Comment pourrait-elle s’isoler dans un deux pièces ? Comment pourrait-elle protéger sa santé si le danger ne lui offre aucun répit ? Quant à sa santé psychologique, quand adviendra-t-il ?
Mais elle s’estime chanceuse car pour beaucoup, c’est déjà la réalité.
4.Qu’attendez-vous aujourd’hui du gouvernement ?
Nous demandons à M. le Président de la République Emmanuel Macron de respecter ses engagements pris au mois de mars dernier face à l’épidémie. « La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte ». Nous demandons que des mesures soient prises de manière urgente afin d’assurer une protection juste et efficace de toutes les personnes vulnérables sans distinction et de leur cohabitant jusqu’à la fin de l’épidémie.
Pour ce nous demandons, l’inclusion de l’intégralité des situations à risques identifiées par le HCSP et la suppression de la possibilité pour l’employeur de s’opposer à l’activité partielle dès lors qu’un certificat médical est transmis.
Nous demandons que l’accès au chômage partiel soit garanti sauf à aux personnes à risque de forme grave de Covid-19 qui peuvent poursuivre leurs activités professionnelles à distance, le télétravail doit être opposable lorsque le poste s’y prête.
Nous demandons que le gouvernement informe le grand public sur les risques encourus par les personnes vulnérables au Covid-19, la variété de leurs profils (âge, maladies chroniques, handicaps invisibles…) et le devoir de responsabilité individuelle de participer tout particulièrement à leur protection.
Nous demandons que le Gouvernement informe les employeurs, les services de ressources humaines et de médecine du travail quels qu’ils soient sur leurs obligations et devoirs de protection des personnes vulnérables et les moyens mis à leur disposition pour ce faire ; des dispositifs de facilitation et une aide aux employeurs et services dans ce cadre, qu’il s’agisse de procédures ou de moyens.
Nous demandons que les mesures prises concernant la protection des personnes vulnérables soient explicites, précises et sans ambiguïté aucune et qu’elles soient également annoncées suffisamment tôt.
Enfin, en tant que citoyens, représentants des 38 000 personnes vulnérables signataires et premier concernés, nous souhaitons être consultés avant toute nouvelle publication sur le sujet, dans le strict respect des principes de la démocratie en santé.
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